Les pilotes constituent un groupe qui n’échappe pas aux idées reçues. Certains films les dépeignent comme étant des casse-cou qui font fi du danger. La réalité est tout autre : ces personnes (femmes autant que les hommes) ne laissent rien au hasard puisque leur survie dans les airs dépend de l’inspection de leur aéronef, d’une connaissance intime des limites opérationnelles de leur machine et bien sûr, d’une lecture attentive des renseignements météo. On pourrait dire d’eux qu’ils sont très méticuleux.
Gilles Graton est de ceux-là… même que son sens du détail lui sert très bien dans sa nouvelle vocation, la fabrication et la réparation de guitares. Comme le chantait Michel Rivard du temps de Beau Dommage : «Écoutez-le conter l’histoire…»
Jacques Des Becquets, pilote, musicien et écrivain.
De pilote à luthier: comment ma vie a basculé dans la lutherie.
Ayant grandi tout près du défunt aéroport de Cartierville à Montréal, les avions qui nous survolaient de proche me fascinaient. Ils devinrent ma première véritable passion.
Les instruments de musique ont aussi occupé une importante partie de mon existence depuis mon premier souffle. Mes deux parents étaient musiciens de profession, père chef d’orchestre et mère organiste de concert. Quand ils n’enseignaient pas au Conservatoire ou à Vincent D’indy, ils le faisaient à la maison. Des notes, on en a entendues, et des instruments, on en a vus! Bref, je ne connais pas la vie sans musique.
J’avais onze ans quand mes parents ont déposé ma première guitare sous l’arbre de Noël. Ce fut le coup de foudre instantané. En plus, c’était tombé exactement dans l’année du tsunami Beatles et leur passage à Montréal. La musique des Beatles à été la première que j’ai aimée. C’était définitivement plus cool que les sempiternelles gammes des élèves de piano et les répétitions de concerts de mes parents!
Un ami m’a fait découvrir la magie de la guitare électrique à 13 ans. On a formé un groupe, puis un autre, et ainsi de suite. Ma passion pour l’aviation était grandissante mais il fallait avoir seize ans…et de l’argent pour apprendre à piloter.
Mes seize ans arrivèrent enfin, et l’argent aussi, grâce à papa et maman, qui défrayèrent la première partie de mes leçons de pilotage. J’ai eu cette chance exceptionnelle, on sait que ce n’est pas donné à tout le monde.
L’aviation, les groupes des musique et le collège constituaient ma vie, dans cet ordre. Nous étions jeunes et pauvres et quand un instrument de musique brisait ou avait besoin d’amour, nous devions nous débrouiller, ne pouvant s’offrir les services de luthiers. Ça tombait bien car j’adorais travailler le bois depuis l’enfance. J’avais construit des tonnes de maquettes d’avions en bois, une n’attendait pas l’autre. Je me suis ensuite lancé, de façon autodidacte, dans la fabrication d’une première guitare électrique ; un quasi-désastre mais il fallait bien commencer en quelque part. Je peux maintenant affirmer que piloter un avion et construire une guitare ont, outre la beauté, une chose en commun : c’est facile à mal faire et difficile à bien faire.
Le jour où une âme entra dans un morceau de bois
Je suis devenu pilote professionnel à dix-huit ans et vécu de ce métier pour une quarantaine et demie d’années. À l’approche de la soixantaine et de la retraite, j’entrepris la réalisation d’un autre rêve que je caressais depuis longtemps, celui de construire un hydravion qui nous permettrait d’aller à la pêche, passion que ma conjointe et moi partageons.
Plus le projet d’avion avançait, plus je réalisais que c’était un processus qui allait prendre tellement d’années que quand l’avion serait terminé, j’aurais besoin d’aide pour traverser la rue.
Disposant déjà d’un certain outillage, je délaissai le projet de l’avion pour me lancer de nouveau dans la fabrication de guitares et basses électriques. J’ai construit jusqu’à cinq par année dans la meilleure période.
Je vendais ces instruments bien sûr, mais pas assez cher pour en vivre. Cependant, le fait de transformer un bout de bois en quelque chose de «vivant» avait une teneur élevée de magie.
Un jour, un monsieur qui croyait que je réparais des instruments vint me voir avec une guitare acoustique qui avait sérieusement manqué d’amour. Comme il était aussi bricoleur, lui et moi avant tout remis en place, redressé, ajusté, nettoyé et installé des cordes neuves. Ensembles, nous avons redonné une âme à sa vieille guitare. Et c’est là que j’ai enfin trouvé comment vivre ma retraite. La nouvelle s’est répandue au village et dans les environs et de plus en plus de gens m’ont contacté pour que je répare leur instrument.
Voilà, vous connaissez maintenant mon histoire et comment ma vie a basculé dans le monde merveilleux et fou de la fabrication et réparation de guitares électriques!
On dit souvent que la vie se découpe en cycles. Après avoir rêvé de voler comme un oiseau – et de l’avoir réalisé – voici que je donne vie à des créations façonnées de bois, de métal, de quelques pièces spécialisées assorties d’un jeu de cordes. Des questions ?